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Les Trainées de Condensation (Contrails)

Les Trainées de Condensation (Contrails)
Illustration Trainées de condensation

Auteur: Quentin Rodriguez

Avant Propos

Les traînées de condensation (appelées CT dans le reste du document – pour contrails) sont un sujet hautement complexe dans l’impact écologique du transport aérien. Cependant il me semble qu’un fossé existe entre d’une part des articles scientifiques qui nécessitent des heures voire des jours pour être appréhendés convenablement, et d’autre part des publications sur les réseaux sociaux, des interventions dans les média et autres messages activistes qui souffrent tous d’une simplification excessive et/ou une utilisation incomplète voire incorrecte des résultats de ces mêmes articles. Le but de ce document est de faire le lien entre les deux : expliquer les méthodes d’évaluation des impacts des CT, présenter la complexité du calcul d’un « équivalent » CO2, et enfin, en déduire une méthode de prise en compte afin d’évaluer le rôle à jouer par le transport aérien dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’étude des CT fait partie de l’évaluation de l’impact immédiat du transport aérien, première étape qui doit être suivie par une stratégie politique et comportementale afin d’adopter un modèle de société durable. Afin de rester factuel, ce document ne traite que des technologies déjà en service afin de conclure sur les axes d’amélioration à court terme. Enfin ce document n’a pas pour objectif d’inciter à l’effet rebond, le but n’étant pas de donner bonne conscience aux voyageurs que nous sommes mais seulement de quantifier au mieux l’impact de nos déplacements aériens dans nos objectifs d’empreinte carbone.

Toutes les questions, suggestions et corrections sont les bienvenue.

I. Le forçage radiatif

La Terre reçoit le rayonnement du soleil (ondes courtes). Une partie de ce rayonnement parvient à traverser l’atmosphère terrestre, atteint le sol et le réchauffe, alors qu’une autre est réfléchie par l’atmosphère et n’atteint pas le sol. Comme tout corps noir, le sol terrestre chauffé par ce rayonnement réémet à son tour un rayonnement (ondes longues). Ce rayonnement subit le même sort que celui du soleil : une partie traverse l’atmosphère, une autre est réfléchie par l’atmosphère et conservée dans celle-ci. Ce mécanisme est l’effet de serre et permet de conserver dans l’atmosphère une partie de l’énergie reçue du soleil comme illustré par la Figure 1.

Illustration de l'effet de serre naturel
Figure 1. illustration de l’effet de serre naturel (https://www.environnement.gouv.qc.ca/jeunesse/sais_tu_que/2020/2003-effet-serre-12-15.htm)

La capacité de l’atmosphère à contenir plus ou moins les rayonnements est quantifiée leforçage radiatif (RF dans la suite du document) : la différence entre la puissance reçue et la puissanceémise, et exprimée en W/m2. Par extension, on trouve dans la littérature des valeurs de RF relatifs àcertains composants (CO2, CH4 etc) qui correspondent à la part jouée par ces composants dans le RFglobal de l’atmosphère. A noter que les RF exprimés comme tels évaluent le réchauffement causé parune concentration donnée d’un composant. Les concentrations de ces éléments sont donc déjàprises en compte dans le calcul du RF.Les gaz ainsi étudiés contribuent à la fois à réfléchir le rayonnement solaire (empêchant cerayonnement de pénétrer dans l’atmosphère, avec un effet donc refroidissant) et à réfléchir lerayonnement du sol (conservation de l’énergie dans l’atmosphère, avec un effet réchauffant). Le RFd’un gaz prend en compte ces deux effets pour déduire l’impact global du gaz sur le bilanénergétique de l’atmosphère.On parle aussi de forçage radiatif effectif (ERF) : alors que le RF n’évalue que l’impact del’ajout d’une quantité d’un composant dans une atmosphère donnée en faisant l’hypothèse que lacomposition de cette atmosphère initiale n’était pas modifiée par cet ajout d’élément (« touteschoses égales par ailleurs »), l’ERF prend aussi en compte les modifications rapides éventuelles decomposition de l’atmosphère dues à l’apport de cet élément pour évaluer au mieux son impact (voir chapitre Incertitudes sur les CT pour voir un exemple d’ERF).

On peut alors relier l’ERF au changement de température en surface grâce à l’expression :

ΔTs = λ.ERF

Équation 1 : changement de température après équilibre à la surface

ΔTs est le changement de température à la surface de la Terre et λ le paramètre de sensibilité climatique (K.m2/W). On comprend donc que le RF soit un indicateur important pour la compréhension du réchauffement climatique. Cependant on trouve également dans différentes études un autre indicateur : le PRG (Potentiel de Réchauffement Global) ou GWP (Global Warming Potential) et son équivalent en température le PTG (Potentiel de changement de température global) ou GTP (Global Temperature Change Potential) qui prennent en plus en compte la durée de vie de l’élément afin de mieux évaluer l’impact de la génération d’un tel élément sur le bilan énergétique/la température à différents horizons temporels.

 

II. L’étude D.S. Lee et al.(1)

 

Structure et objectifs

 

Cet article est l’un des derniers publiés au sujet du forçage radiatif dû au transport aérien. Ils’agit en réalité d’une mise à jour de l’article du professeur Lee et son équipe publié en 2009 renforcépar les avancées faites particulièrement en matière de cycle de vie des CT et de leur RF associés(études Irvine et al. (2) et Burkhardt et al. (3)). Il présente les principaux indices qui caractérisent lacroissance du transport aérien mondial, particulièrement ces 20 dernières années, puis liste lesdifférents contributeurs du RF global de l’aviation et enfin décrit les méthodes de calcul et présenteune comparaison effets CO2 vs effets hors CO2.

Vue d’ensemble des contributeurs

Forçages radiatifs effectifs (ERF) imputables à l’aviation
Figure 2. Forçages radiatifs effectifs (ERF) imputables à l’aviation

La Figure 2 est directement reprise de l’étude et montre les ERF dus à l’aérien et intégrés sur la période 1940-2018. Les deux principales informations de cette figure sont

  • la domination du ERF des CT dans le ERF hors CO2 de l’aviation (57.4 mW.m-2 sur 66.6 mW.m-2, soit 86%),
  • la comparaison des ERF CO2 vs hors CO2 : l’ERF hors CO2 est 2 fois plus important que l’ERF CO2.

Fort de ces deux informations il paraît claire qu’une compréhension de l’impact des CT équivaut à une compréhension de l’impact du transport aérien sur le climat. On note également la précision de l’étude concernant les niveaux d’incertitude des valeurs, très élevé pour les CT, mais ce point sera détaillé dans la partie « méthode ». Il semble également que la valeur de l’ERF des CT ait été calculée dans les régions à haut degré d’humidité, donc propices à la formation des CT mais non représentative de l’atmosphère moyenne, ce qui sera aussi discuté dans les méthodes.

Description des CT

 

L’étude présente une explication sur les CT afin d’illustrer les difficultés de leur prise en compte et la contribution de différentes études pour améliorer l’étude Lee de 2009. Les CT sont destraînées linéaires résultant du passage d’un avion dans un air sursaturée par rapport à la glace. Un air sursaturé en glace est un air qui compte tenu de sa température et de son taux d’humidité devrait voir son humidité se transformer en glace. Cependant cette humidité reste sous forme de vapeur,faute de noyaux « glacigène », particule autour de laquelle la glace peut cristalliser. Les moteurs desavions émettent des particules fines qui servent de noyaux et la formation de ces cristaux peut alors se produire. Ces traînées linéaires se dispersent ensuite sous forme de cirrus persistants.

L’un comme l’autre réfléchissent les radiations :

  • venant du sol (ondes longues), participant ainsi à l’effet de serre réchauffant,
  • venant du soleil (ondes courtes), procurant ainsi un effet refroidissant.

Incertitudes sur les CT

 

Outre les conditions atmosphériques très particulières pour voir apparaître des CT, l’article insiste sur d’autres facteurs qui complexifient encore l’évaluation de l’impact de ces dernières (non exhaustif) :

  • la formation de CT à l’intérieur des nuages déjà présents « naturellement » dans l’atmosphère,
  • le chevauchement des CT qui se forment au-dessus de ces nuages « naturels »,
  • l’hétérogénéité de la densité de CT en fonction de la densité des routes aériennes,
  • le comportement encore incertain de cristaux de glace de petite taille (<5μm),
  • l’impact des CT sur l’apparition de nuages « naturels »,
  • le changement de RF des suies issues de la combustion ayant servi de noyaux glacigènes pour les CT.

L’article fait référence à des nombreuses recherches afin de calculer les incertitudes relatives à ces différents points. Seuls le 1er et le dernier point de la liste ci-dessus n’ont pas pu donner lieu à des évaluations chiffrées des incertitudes. Il est à noter que l’avant dernier point est pris en  compte dans l’ERF des CT : l’apparition des CT dans l’atmosphère modifie les propriétés et la composition de cette masse d’air. Ainsi la présence de CT diminue drastiquement la couverture nuageuse naturelle. Il ne suffit donc pas d’ajouter le RF des CT au RF global de  l’atmosphère, il faut également prendre en compte une diminution du RF global en raison de la baisse de l’ennuagement naturel causée par la formation de CT. On obtient ainsi l’ERF, plus faible et plus réaliste que le RF. En effet le rapport ERF/RF est largement inférieur à 1 et évalué par l’article à 0.42.

 

III. Méthode : zoom sur l’étude Chen(4)

Afin de bien juger du sérieux des chiffres avancés et de l’origine des incertitudes évoquées, il est important de se pencher sur les études reprises par cet article et les méthodes qui ont été utilisées afin d’évaluer le RF des CT. De plus, une compréhension de la méthode de calcul est aussi un gage de compréhension des phénomènes directs et induits par la génération des CT. Une des études reprises dans cet article est l’étude Chen de 2013.

L’étude Chen explique qu’elle utilise un logiciel de modélisation de l’atmosphère (CAM v5 – Community Atmosphere Model) pour effectuer ses calculs. La première bonne nouvelle est que l’étude utilise l’humidité relative moyenne ainsi que la fréquence de présence de glace sursaturée telle que mesurée dans l’atmosphère par satellite. Ceci permet de définir dans le modèle si une CT sera formée au passage d’un avion ou non. Lorsque les conditions sont remplies, le modèle considère qu’il y a formation de CT dans le sillage de l’avion (section 300m x 300m). Ce sillage contient une certaine densité de cristaux de glace calculée en connaissant l’humidité naturelle de l’atmosphère et la quantité de vapeurs d’eau dégagée par les moteurs. En divisant cette densité de glace par la densité de glace moyenne d’un nuage (ICIWC – In Cloud Ice Water Content), l’étude en déduit l’ennuagement supplémentaire causé par la CT. Enfin la durée de vie de cette CT linéaire est fixée à 30 minutes. Le RF associé est déduit grâce à une hypothèse sur la taille des cristaux, environ 10μm, en référence à une autre étude sur le sujet, (Schröder et al. 2000). Afin d’aller plus loin dans la précision des résultats, l’étude explique également qu’elle a évalué l’impact des CT dans l’atmosphère en utilisant 4 scénarios météorologiques différents. Enfin l’étude utilise une base de données émanent de l’étude Barrett et al.(5) de 2010 qui dresse la carte des émissions de l’aérien, afin d’effectuer un maillage géographique du trafic à prendre en compte dans le modèle.

L’étude précise que les CT ont été pris en compte durant toute leur durée de vie : aussi bien les CT linéaires que l’on peut tous observer au passage d’un jet dans une atmosphère sursaturée en glace, que les cirrus qui résultent de la dissipation des CT linéaires. Les résultats montrent l’hétérogénéité géographique des CT grâce aux données de trafic aérien, particulièrement concentré sur l’Europe, l’Amérique du nord et l’Atlantique Nord. En ayant fait les simulations avec ces données de trafic heure par heure et en les ayant comparées aux résultats obtenus avec des données mensuelles et donc moyennées sur le mois, l’étude a montré l’importance de la base de donnée horaire. En effet les CT linéaires ont un impact radicalement différent en fonction de l’heure à laquelle elles sont émises en raison de l’effet refroidissant de la réflexion des ondes courtes le jour (RF 29% plus élevés lorsque la simulation se base sur la moyenne mensuelle du trafic comparée à la simulation heure par heure). Enfin l’étude conclue sur l’importance de mieux définir la taille des particules de glace, la section du sillage dans lequel se forment les CT et bien sûr la durée de vie des CT.

L’étude évoque finalement une faiblesse du logiciel CAM5 qui concerne la taille verticale du maillage qui semble fixée à 1km ce qui n’est pas représentatif de la profondeur optique des CT. Il en résulte que le modèle tend à superposer les CT pour les voir comme un seul nuage très épais dans les zones à fort trafic, impliquant ainsi une accentuation de l’hétérogénéité géographique des CT et une sous-évaluation des RF globaux associés.

On regrettera cependant un manque d’explication dans la reprise des résultats par l’étude Lee : pour souligner le niveau d’incertitude imputable à la taille des cristaux de glace, l’étude Chen évoque le fait que si on passe cette taille de 10μm (conformément à l’étude Schröder et al.) à 7.5μm, on multiplie les RF par 2,5 , concluant ainsi que les incertitudes initialement présentées pourraient être multipliées par 2,5. Ce facteur est appliqué dans l’incertitude présentée dans la conclusion de l’étude pour ainsi arriver à une valeur de RF de 13±10 mW/m2 (initialement ±4). Cette valeur est beaucoup plus faible que les valeurs obtenues dans les études précédentes et également citées par Lee. L’auteur l’explique par un maillage plus fin du phénomène (cf données de trafic horaire etc). On est donc surpris que la valeur reprise par Lee pour désigner l’étude Chen soit 57 mW/m2 qui n’est jamais évoquée dans l’étude Chen. En revanche il semblerait que Lee ait multiplié la valeur maximale (valeur nominale plus incertitude) par le facteur 2.5 ((13+10)x2.5=57.5) ce qui serait une grossière erreur étant donné que ce facteur 2.5 ne s’applique qu’à l’incertitude d’après Chen, et qu’en plus il est déjà pris en compte dans l’incertitude de ±10 mW/m2 évoquée dans la conclusion de Chen. On ne peut que regretter ce manque d’information quant à l’appel du résultat de l’étude alors qu’on ne peut que saluer la rigueur de l’étude Chen. Les 3 autres études reprises par Lee présentant des valeurs de 38, 56 et 63 mW/m2, on peut suspecter une volonté de l’auteur d’uniformiser les valeurs.

IV. L’importance des métriques

Les différents indicateurs

 

Si le calcul d’une valeur de RF associé aux CT semble d’une extrême complexité, l’étude Lee conclut sur un point sur lequel il n’y a que peu d’incertitude : la durée de vie extrêmement limitée des CT comparée à celle du CO2 et la conséquente nécessité de trouver un indicateur autre que le RF, souffrant d’un caractère instantané, afin de comparer les effets CO2 et hors CO2 à long terme.

Le rapport introduit alors le GWP et GTP (Global Warming Potential et Global Temperature change Potential). Le premier découle de l’intégration temporelle sur une durée donnée du RF d’un gaz associé à sa concentration dans l’atmosphère. Cette intégration représente la quantité d’énergie maintenue dans l’atmosphère par le gaz étudié et sur la période d’intégration choisie. En divisant cette valeur par celle obtenue en faisant la même intégration avec le CO2 on obtient le GWP (ou PRG pour potentiel de réchauffement global). A noter que la méthode de calcul de cet indice a été décrite par le GIEC dans leur troisième rapport d’évaluation et que le groupe a publié les valeurs de PRG de différents gaz à utiliser pour afin de mieux décrire les impacts des gaz autres que le CO2 sur l’atmosphère. Par exemple, le rapport Lee indique des valeurs de GWP pour les CT avec 2 scénario : quantité moyenne de CT émise par tCO2 ou quantité de CT émise par km. Dans le premier cas, on prend en compte l’aspect non systématique de la formation de CT (air sursaturé en glace ou non) et dans le deuxième on prend comme référence 1km de CT et la quantité de CO2 émise associée à ce km volé. Afin d’avoir une image représentative de l’impact mondial des CT, on prendra le premier scénario (c’est également ce qu’a fait l’ADEME, cf paragraphe suivant).

Tableau 1.GWP et GTP des différents produits de l’aviation à différents horizons temporels
Tableau 1.GWP et GTP des différents produits de l’aviation à différents horizons temporels

 

L’étude propose également différent horizons temporels. Il est d’usage de prendre 100 ans dans la mesure où ces méthodes de calcul sont relatives à l’impact du CO2 qui a une durée de vie d’une centaine d’années.

On remarque dans le Tableau 1 un GWP de 0.63 pour les CT, ce qui signifie que pour chaque tonne de CO2 , l’énergie accumulée sur 100 ans par l’effet des CT équivaut à l’effet de serre de 630kg de CO2 supplémentaires.

Un autre indice découle directement du GWP : le GTP (Global Temperature change Potential). Alors que le GWP est l’image de la quantité d’énergie supplémentaire à considérer sur l’ensemble de la période d’intégration choisie, le GTP est l’incrément de température dû à ce même gaz à la fin de la période choisie. Le tableau indique ainsi un GTP sur 100 ans de 0.09 pour les CT, ce qui signifie que sur la durée de vie du CO2, l’augmentation de température due aux CT générées par 1 tonne de CO2 correspond à 90kg de CO2 supplémentaires.

Les données de l’ADEME

Il est intéressant de voir la position de l’Agence De l’Environnement et de Maîtrise de l’Energie sur ce sujet car c’est la source majoritairement choisie afin de calculer l’impact de l’aérien en France. Sur sa page consacrée à l’impact de l’aviation(6), voici ce qu’on peut y lire :

L’ADEME reprend bien les résultats de l’étude Lee : le premier point semblerait faire allusion au GWP de ces 50 dernières années, le 2eme fait référence au GWP100 alors que le 3eme est plus flou dans la mesure où l’ADEME ne cite pas l’étude qui fait les calculs de GTP sur 10 ans. Aucune mentionn’est fait des GTP et une valeur moyenne de 2 est choisie.

Les limites des métriques

 

l’ADEME a également produit le document explicatif très complet Etat de l’art de la recherche scientifique sur l’impact climatique des traînées de condensation des avions(7) dans lequel elle explique l’utilisation des différents métriques : RF, GWP, GTP etc. Elle souligne la limite des GWP et GTP que l’étude Lee a également évoquée. En effet comme toute integration, ces facteurs souffrent d’un moyennage sur la durée. Par exemple, un ERF très élevé au tout début de la période choisie puis très faible sur le reste de la période donnera un GWP raisonnablement élevé (prise en compte de l’accumulation d’énergie au début de la période) mais un GTP faible (l’incrément de température est redescendu à la fin de la période, le GTP ne permet pas de voir le pic d’ERF du début de la période). Le GWP lissera donc un réchauffement ponctuel alors que le GTP ne le « verra » presque pas. Pour une émission continue de gaz à effet de serre de courte durée de vie, il y a bien un biais : leur effet est bien minime sur la durée comparé à celui du CO2 comme l’attestent les faibles GTP100 et GWP100 mais ils ont bien un RF élevé et participent en cela au réchauffement global. L’étude Lee met ainsi en garde sur l’utilisation de tout multiplicateur pour désigner un « équivalent CO2 ».

 

V. Bilan de l’impact climatique des CT

 

Renouvellement vs accumulation

 

Si l’ADEME évoque les limites des GTP et GWP, elle souligne en revanche l’importance du phénomène à l’origine de cet apparente incohérence entre faible GTP100 et fort RF : « Les PRG et GTP captent le fait que des effets constants à courte durée de vie maintiennent un niveau de réchauffement à peu près constant, tandis que des effets constants climatiques à longue durée de vie, comme le CO2, continuent de s’accumuler dans l’atmosphère, ce qui entraîne une augmentation constante du niveau du réchauffement associé ».

En effet en raison de leur courte durée de vie, les CT ne font que se renouveler : toutes choses égales par ailleurs (en particulier le trafic et la technologie) il n’y a pas d’augmentation de la quantité de CT, donc pas d’augmentation de l’ERF dû aux CT. Ainsi, toujours dans les mêmes hypothèses, le niveau de réchauffement dû aux CT observé aujourd’hui depuis le boom du transport aérien ces 20 dernières est le même que celui qui sera observé en 2050, 2070 ou 2100, alors que le CO2 lui va s’accumuler sur 100 ans et sera responsable d’une augmentation continue du niveau de réchauffement. Par conséquent, d’après l’Équation 1, toutes choses égales par ailleurs, le maintien de la quantité de CT générés au niveau actuel n’augmentera pas la température moyenne future, quel que soit l’horizon choisi.

L’étude Référentiel Aviation et Climat(8) publiée par l’ISAE Supaero va plus loin et montre la corrélation instantanée entre évolution du trafic aérien et évolution de l’ERF de l’aviation. Sur la Figure 3 issue de cette étude on voit très nettement la corrélation entre le trafic aérien et l’ERF causé par les CT+CO2 alors que l’ERF causé par le CO2 est beaucoup plus stable avec un point saisissant : la chute du trafic dû à la crise de 2009 et la chute instantanée de l’ERF hors CO2 (puisque l’évolution de l’ERF du CO2 est stable). Cette observation valide la remarque de l’ADEME : une stagnation du trafic aérien entraîne une stagnation de l’ERF de l’aviation dû aux CT (quasi-totalité de l’ERF hors CO2 d’après l’étude Lee) et donc une stagnation de l’augmentation de la température due aux CT.

Taux variation annuel de l’ERF dû à l’aviation et du trafic aérien
Figure 3. Taux variation annuel de l’ERF dû à l’aviation et du trafic aérien

On comprend donc bien la nature instantanée et non cumulative de l’impact des CT. Le résultat étant que dès l’émission de ces CT stoppée, l’ERF dû à CT diminue instantanément contrairement à l’ERF du CO2 qui même en cas d’arrêt des émissions de CO2 de l’aérien ne ferait qu’arrêter d’augmenter et resterait constant. En cas d’arrêt de la flotte mondiale, l’ERF total de l’aviation diminuerait donc instantanément. Une chose impossible à faire pour un secteur qui ne doit son ERF qu’au CO2. En effet l’arrêt d’un tel secteur conduirait à l’arrêt de ses émissions de CO2 et donc une stagnation de la quantité de CO2 qui lui est imputable, soit une stagnation de son RF sur une période environ égale à la durée de vie du CO2. Un tel secteur devrait absorber le CO2 précédemment émis pour arriver à une diminution de son RF. Ce point est repris par l’association Stay Grounded qui motive l’arrêt de l’aviation par une diminution immédiate et drastique du réchauffement dû à l’aviation, ce qui représenterait d’après l’association 67Gt CO2 eq d’émission négative (absorbtion donc de CO2) d’après leur présentation(9) dont la Figure 4 montre un extrait.

Extrait de la présentation « The real impact of aviation » de l’association Stay Grounded
Figure 4. Extrait de la présentation « The real impact of aviation » de l’association Stay Grounded

Le calcul d’un équivalent CO2 pour les passagers

 

La complexité de trouver une équivalence entre CT et CO2, tant leur propriétés sont différentes, est donc réelle et contrairement à ce qu’on peut penser, elle ne se résume pas à une incertitude sur la valeur de l’ERF des CT. En revanche, tous (pro et anti aérien, groupes d’experts et universitaires) s’accordent à souligner la courte durée de vie des CT et par conséquent le processus de renouvellement plutôt que celui de l’accumulation. Une comparaison avec le CO2, condamné à s’accumuler (en tout cas sur les 100 premières années de l’histoire des émissions massives de CO2 par l’homme), conduit donc à la remarque faite par l’ADEME : l’effet réchauffant des CT est constant dans le temps, à trafic et technologie inchangée.

Se pose alors la question de la part de l’empreinte carbone due aux CT imputable à un passager. En effet, de l’aveux même de l’ADEME, on peut affirmer que l’effet des CT sur le réchauffement est constant dans le temps. Or il est difficile de justifier un quelconque facteur multiplicateur sur les émissions de CO2, responsables d’une augmentation du réchauffement, afin de prendre en compte un phénomène qui lui n’augmente pas le niveau de réchauffement. C’est en toute logique impossible.

De plus, en raison de la courte durée de vie des CT, imputer au trafic aérien un quelconque réchauffement causé par les CT générés au temps t doit nécessairement s’accompagner d’un dédouanement du réchauffement causé par les CT que ce même trafic aérien a généré au temps t – x heures, x pouvant aller de 0.5 pour les CT linéaires à quelques heures pour les cirrus qui en résultent. Le risque de vouloir prendre en compte les CT est donc un multi-comptage systématique.

Par ailleurs, il faut souligner les améliorations déjà présentes dans le transport aérien comme les chambres de combustion bi-annulaires. Dans sa présentation Mitigating the climate impact of contrails by small-scale flight diversions(10), Marc Stettler souligne la diminution significative des CT avec l’utilisation de ces nouvelles chambres de combustion qui sont en service depuis le début des années 2010. Cette technologie permettrait de réduire de 69% l’énergie réfléchie par les CT. Comme son nom l’indique, l’étude évoque également l’hétérogénéité des routes et altitudes en terme de génération de CT et les gains espérés par un nombre très faible de petits écarts aux plans de vol pour une diminution de 92% de l’énergie réfléchie par les CT en combinant des chambres de combustion double ainsi que ces petits écarts. Cette stratégie d’évitement des zones sujettes aux CT a déjà été testée dans l’espace de Maastricht, carrefour du transport aérien européen, ou encore par la compagnie Etihad Airways le 23 octobre dernier qui sur un Londres-Abu Dhabi a évité les zones de CT pour une consommation supplémentaire de 100kg. Notons également la diminution des CT induite par l’utilisation de kerozene de synthèse (ou SAF) en raison de leur faible teneur en composés aromatiques ce qui implique une diminution importante du nombre de noyaux glacigènes. Une diminution de l’ordre de 50 à 70% a été évalué par l’étude Cleaner burning aviation fuels can reduce contrail cloudiness(11) de la NASA et du DLR cet été, alors que les premiers vols 100% SAF viennent d’avoir lieu.

C’est finalement l’étude D.S.Lee qui, compte tenu de toutes les remarques évoquées précédemment, fournit la clé de la détermination du facteur multiplicateur sur les émissions de CO2 afin de prendre en compte les effets hors CO2 :

“Hence warming-equivalent emissions show that the widely-used assumption of a constant ‘multiplier’, assuming that net warming due to aviation is a constant ratio of warming due to aviation CO2 emissions alone, only applies in a situation in which aviation emissions are rising exponentially such that the rate of change of non-CO2 RF is approximately proportional to the rate of CO2 emissions”.

Par cette remarque, l’étude confirme qu’en raison de la différence de la durée de vie des CT et du CO2, le RF du CO2 doit être calculé comme un cumul des émissions des 100 dernières années alors que les CT sont ponctuelles et leur RF est proportionnel à la quantité de CT à un temps t et non à une accumulation. Ainsi, si les productions de CO2 et de CT stagnent (hypothèse d’un trafic aérien constant à iso technologie), le RF du CO2 continue d’augmenter par effet d’accumulation alors que le RF des CT stagne. Aucun effet hors CO2 n’est alors à considérer et le facteur  est de 1, comme l’évoque l’étude :

“If annual global aviation emissions were to stabilize, this ratio declines towards unity“

En effet seule une augmentation exponentielle (+n% tous les ans) des deux émissions, CO2 et CT, pourraient justifier un facteur multiplicateur qui dépendrait alors de la vitesse de l’augmentation (n). Pour affirmer la nécessité de multiplier les émissions de CO2 par k pour prendre en compte les effets des CT il est nécessaire d’avoir une augmentation exponentielle des émissions de CT qui dépendent de l’évolution du trafic aérien et de la quantité de CT émises par chaque trafic. Si l’augmentation du trafic aérien peut être qualifiée d’exponentielle à l’échelle mondiale (mais pas toujours à l’échelle nationale), il est clair que le renouvellement continu de la flotte ces 10 dernières années avec des chambres de combustion de nouvelle génération (cf étude de M.Stettler citée précédemment) plaide en faveur d’une diminution de la production de CT par pax.km voire même de la diminution de la production de CT globale compte tenu de la vitesse de renouvellement de la flotte mondiale.

L’étude Lee met finalement en garde sur l’impossibilité d’utiliser un tel facteur si ce critère d’émissions exponentielles n’est pas assuré :

“The GWP* based ‘multiplier’ calculated here (which depends on the ratio of the increase in net aviation warming to the increase in warming due to aviation CO2 emissions alone over the recent past), should not be applied to future scenarios that deviate substantially from the current trend of increasing aviation-related emissions.”

Conclusion

Si l’impact des CT sur le réchauffement climatique semble bien nuisible, choisir le RF comme métrique pour qualifier les CT semble peu judicieux. Par ailleurs, il paraît difficile de justifier l’imputation de cet impact sur le passager en raison du maintien du statu quo énergétique résultant de la formation des CT de son vol. Par ailleurs les flottes sont déjà en renouvellement afin de proposer des moteurs moins générateurs de CT. Cette démarche pourrait ainsi déboucher sur une diminution de l’ERF de l’aviation, alors que la majorité des autres secteurs contributeurs du réchauffement climatique le sont à cause du CO2 et se voient donc condamnés à voir, au mieux, leur RF stagner. Hors croissance exponentielle du transport aérien, les CT ne participent donc pas à l’aggravation du réchauffement climatique. Leur réduction à prévoir dans un avenir proche pourrait même être assimilée à une émission négative de CO2.

Références

  1. D.S.Lee, The Contribution of global aviation to anthropogenic climate forcing for 2000 to 2018 ,
    https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1352231020305689
  2. Irvine, E.A., Hoskins, B.J., Shine, K.P., 2013. A Lagrangian analysis of ice-supersaturated air over the North Atlantic. J. Geophys. Res. Atmos. 119, 90–100. https://doi.org/ 10.1002/2013JD020251
  3. Burkhardt, U., Kärcher, B., Schumann, U., 2010. Global Modelling of the contrail and contrail cirrus climate impact. Bull. Am. Meteorol. Soc. 91, 479–484. https://doi.org/10.1175/2009BAMS2656.1
  4. Chen, C.-C., Gettelman, A., 2013. Simulated radiative forcing from contrails and contrail cirrus. Atmos. Chem.
    Phys. 13, 12525–12536. https://acp.copernicus.org/articles/13/12525/2013/acp-13-12525-2013.pdf
  5. Barrett, S., Prather, M., Penner, J., Selkirk, H., Balasubramanian, S., Dopelheuer, A., Fleming, G., Gupta, M.,
    Halthore, R., Hileman, J., Jacobson, M., Kuhn, S., Lukachko, S., Miake-Lye, R., Petzold, A., Roof, C., Schaefer, M.,
    Schumann, U.,Waitz, I., and Wayson, R.: Guidance on the use of AEDT gridded aircraft emissions in atmospheric
    models, version 2.0, Tech. rep., Federal Aviation Administration, 2010.
  6. https://www.bilans-ges.ademe.fr/documentation/UPLOAD_DOC_EN/index.htm?aerien2.htm
  7. https://librairie.ademe.fr/mobilite-et-transport/4617-etat-de-l-art-de-la-recherche-scientifique-sur-l-impact-climatique-des-trainees-de-condensation-des avions.html
  8. https://www.isae-supaero.fr/fr/horizons-186/referentiel-aviation-et-climat/referentiel-aviation-et-climat/
  9. https://stay-grounded.org/wp-content/uploads/2020/11/The-real-impact-of-aviation_Nov20.pdf
  10. M. Stettler, Mitigating the climate impact of contrails by small-scale flight diversions
    https://a.storyblok.com/f/77802/x/71971a8796/cpm_stettler_mitigating-the-climate-forcing-of-aircraft-contrails-by-small-scale-diversions.pdf
  11. C. Voigt, J. Kleine, B. Anderson Cleaner burning aviation fuels can reduce contrail cloudiness
    https://www.nature.com/articles/s43247-021-00174-y

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